Accueil » Changer nos imaginaires » Le racisme aujourd’hui » Un racisme subtil à la télé
Par le seul langage du corps des acteurs, les séries télévisées américaines transmettraient des préjugés raciaux qui influencent le jugement des téléspectateurs.
« La communication non verbale, le « langage du corps », véhicule maintes informations dont nous n’avons pas conscience. Entre autres exemples, les mimiques du front, des yeux ou des lèvres, le regard et la gestuelle sont riches de significations.
Max Weisbuch et ses collègues de l’Université Tufts, dans la banlieue de Boston, ont cherché à savoir si les séries télévisées américaines sont porteuses de ce que l’on nomme parfois le « racisme subtil », c’est-à-dire de préjugés raciaux non formulés explicitement, et quelle est leur influence sur les téléspectateurs. Leur étude indique que les personnages de race blanche d’une scène sont mieux considérés que ceux de race noire par les autres personnages, et que ce biais de traitement non verbal renforce les préjugés des téléspectateurs blancs.
Les chercheurs ont modifié des séquences de 11 séries télévisées pour grand public (comme Grey’s Anatomy ou Bones) en gommant un personnage d’une scène — le personnage cible — de façon à cacher son sexe ou son origine. Le son était coupé. Ils ont alors demandé à 23 étudiants blancs n’ayant jamais vu ces émissions de juger comment les autres personnages traitaient l’individu caché.
D’après la perception des étudiants, les personnages montraient des attitudes non verbales plus positives vis-à-vis des personnages cibles blancs que vis-à-vis des personnages cibles noirs. Cette distorsion pouvait être due à plusieurs facteurs, indiquent M. Weisbuch et ses collègues : les acteurs exprimaient spontanément des préjugés dans leur comportement non verbal, ou les scénarios intégraient eux-mêmes de tels préjugés, ou bien la mise en scène tendait à les exagérer via le jeu des acteurs.
L’exposition de millions de téléspectateurs à des préjugés transmis non verbalement influence-t-elle les préjugés raciaux ?
Pour le savoir, dans une deuxième expérience, 53 autres étudiants blancs ont été sélectionnés parce qu’ils regardaient régulièrement ces séries. Ils ont passé ensuite un test, dit d’association implicite, qui évalue les préjugés inconscients, c’est-à-dire les associations automatiques d’idées qui sont faites entre des personnes et des qualités particulières : en l’occurrence ici des associations entre des visages blancs ou noirs et des mots à connotation positive ou négative.
Résultat : plus les étudiants regardaient souvent des émissions favorables aux personnages blancs, plus ils manifestaient des préjugés raciaux inconscients.
Une autre expérience utilisant un test d’association implicite a montré que c’est bien l’exposition aux comportements non verbaux biaisés en faveur des personnages blancs qui influence les observateurs et non, comme on pourrait le penser, leurs propres préjugés qui les poussent à regarder davantage les émissions biaisées.
Un autre test a montré que les étudiants distinguaient mal les caractéristiques d’un comportement non verbal transmettant un préjugé favorable aux blancs ou favorable aux noirs ; cela confirme que les préjugés raciaux colportés par les attitudes non verbales se transmettent inconsciemment de façon très subtile, concluent les chercheurs.
L’histoire ne dit pas si l’apparition plus fréquente qu’autrefois de Noirs dans des rôles principaux est susceptible de faire évoluer les comportements. »
Jean-Jacques Perrier
In Cerveau et psycho.fr, 5 janvier 2010.