Hiérarchisation et stéréotype : l’émergence d’un racisme populaire (caricatures)

Le racisme populaire va se développer entre la fin du XIXE siècle  et le début des années 1930.

Il va revêtir plusieurs formes caractéristiques, s’adaptant au contexte politique de la colonisation en cours :

La caricature à laquelle s’adonneront  tous les grands médias : journaux illustrés populaires,  publications à caractère « scientifique »,  revues de voyage dont le registre humoristique repose sur la dépréciation systématique de l’indigène, tout particulièrement s’il est Africain. A cette iconographie de type caricaturale et journalistique s’ajoute celle de la réclame publicitaire qui contribuera à la construction de cette image caricaturale justifiée cette fois par des raisons mercantiles.

La caricature antisémite :
Dessiner pour désigner

Le signalement des Juifs dans l’iconographie est un fait très ancien. Dans des travaux pionniers, Bernard Blumenkranz en a répertorié les évolutions dans l’art religieux médiéval. Ainsi, peinture, gravures, enluminures reproduisirent certains aspects de la réalité sociale, enregistrant les habitudes vestimentaires et culturelles des Juifs mais reflétant aussi les marques imposées par une société discriminatoire. En même temps, l’art chrétien contribua à établir et diffuser des stéréotypes, par l’association récurrente des Juifs au commerce de l’argent ou en leur prêtant des caractéristiques physiques bien particulières sous une forme assimilable, dès le 13e siècle, à de véritables caricatures Le Juif médiéval au miroir de l’art chrétien, Paris,…

Le tournant de l’émancipation semble avoir été enregistré avec retard par les images comme l’attestent certains documents de l’époque révolutionnaire sans qu’il soit possible d’établir si les auteurs de gravures renonçaient moins volontiers à un signifiant marqueur d’identité qu’aux préjugés attachés à une telle représentation.
Quoi qu’il en soit, l’émancipation ne modifia pas seulement la condition des Juifs dans les sociétés d’Europe occidentale. Les modalités de leur représentation imaginaire et imagée s’en trouvèrent bouleversées dès lors qu’aucun signe extérieur ne permettait plus de les identifier. Nombreux, Juifs parfois, furent ceux qui pensèrent l’intégration sous forme d’assimilation et d’extinction des particularismes, d’abord au niveau des apparences. Ainsi, selon Bernard Lazare « les Juifs avaient tenu à demeurer au milieu des peuples, avec leur caractéristique propre, leur type physiologique et psychologique », et ils ne pourraient « éviter l’antisémitisme qu’en disparaissant, en se fondant dans le flot de la nation » (Bernard Lazare, Juifs et antisémites, recueil de textes,…)

Il ne saurait être question ici de discuter l’illusion suivant laquelle l’intégration et a fortiori l’assimilation devaient conduire à la disparition de l’antisémitisme. En revanche, il convient d’analyser la façon dont les dessinateurs de la presse antisémite se posèrent la question de la représentation d’une communauté dont les particularismes étaient, de droit mais aussi de fait, de moins en moins manifestes. Une question qui n’était pas simplement de nature graphique et qu’ils ne furent pas seuls à se poser tant elle se trouvait au cœur même des nouvelles formes d’antisémitisme contemporain. La recherche obsessionnelle de signes permettant d’identifier les Juifs devint en effet l’un des exercices favoris des antisémites à la fin du 19e siècle puis au cours du 20e siècle, l’absence de visibilité suscitant maints nouveaux fantasmes.
Ainsi, l’équipe du Supplément illustré de l’Antijuif algérien, dans son premier numéro du 27 mars 1898, publiait un appel sans ambiguïté : « nous prions nos amis, amateurs photographes, de nous adresser les gueules de youtres que leur instantané pourra surprendre » (Numéro du 27 mars 1898, p.  3.). Une telle idée fut réitérée dans la livraison du 12 juin 1898. Cette fois, un journaliste proposait d’organiser, à l’exposition de 1900, une « section algérienne de nez crochus. On appellerait cela la galerie de la question juive. Ces électeurs en turbans, séruels, savates et tout ce qui s’ensuit, ne manqueraient pas d’être intéressants au plus haut point ( Article « Les Juifs algériens à l’exposition de 1900 »).

Comme on le sait, le principe de l’exposition, outil pédagogique destiné à apprendre à reconnaître le Juif allait devenir réalité dans l’Allemagne hitlérienne et sous Vichy. Au diapason des mêmes obsessions, à l’époque où les Juifs d’Italie étaient devenus des citoyens de seconde zone, la revue fasciste et raciste La difesa della razza préconisait la « judéoscopie », « nouvelle science ou tout au moins méthode infaillible pour découvrir, partout où il se niche, le Juif » ( Article « Judeoscopia », La difesa della razza, A. IV)

Marie-Anne Matard-Bonucci