Monogénisme versus polygénisme

S’il fut intense, le débat entre monogénistes (1)  et polygénistes (2)  n’a jamais radicalement remis en cause le principe de la prétendue supériorité de la race blanche. Alors que les polygénistes ont clairement animalisé les prétendues races inférieures et nié leur perfectibilité, les monogénistes ne déduiront pas de l’unité un principe d’égalité et furent même loin d’affirmer unanimement la perfectibilité des prétendues races primitives.

De la tradition chrétienne au débat scientifique

Alors que la doctrine de l’unité de l’espèce humaine se rattache à la tradition chrétienne, des éléments de polygénisme sont présents chez les auteurs des XVIe et XVIIe siècles (les races « pré-adamiques »), mais c’est aux XVIIIe et XIXe siècles que le débat sur les origines de l’Homme oppose très nettement les deux théories : les monogénistes pensent les prétendues races humaines sous le signe de l’unité d’origine tandis que les polygénistes défendent l’idée d’espèces séparées aux origines différentes.

L’émergence du polygénisme

En Angleterre, James Hunt (1833-1869), le fondateur de la Société d’anthropologie de Londres en 1863, diffuse les thèses polygénistes. En France, la doctrine polygéniste qui émerge, comme sous la plume de Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (1778-1846), de Louis-Antoine Desmoulins (1794-1828) et de Julien-Joseph Virey (1775-1846) va de pair avec les premières recherches d’anatomie comparée qui animalise les prétendues races primitives.

Le maintien de la tradition monogéniste

Buffon maintient une tradition monogéniste non religieuse en défendant l’idée de perfectibilité de l’homme et en expliquant la primitivité des races par l’idée de dégénération. Le médecin anglais monogéniste James Cowles Prichard (1786-1848) voit dans le climat et l’évolution sociale les facteurs qui ont amené l’homme noir à l’origine à blanchir, liant ce blanchiment à la perfectibilité de l’espèce.

Une controverse qui ne remet pas en cause l’infériorité des prétendues races primitives

En France, la controverse scientifique entre monogénistes et polygénistes culmine dans les années 1850-1860. L’ « école du Muséum », autour d’Etienne Serres (1786-1868) puis d’Armand de Quatrefages (1810-1892), perpétue la tradition monogéniste tandis que l’ « école de Broca » reprend les thèses polygénistes.

Si les monogénismes soutiennent plus facilement l’idée de perfectibilité, certains sont aussi proches des visions dépréciatives des prétendues races inférieures défendues par les polygénistes. Le monogéniste Sir William Laurence, médecin au Royal College of Surgeons de Londres, a ainsi une vision des « races inférieures » très dépréciative et similaire à celle des polygénistes. Il est un des premiers anthropologues à défendre l’idée de l’inégalité des prétendues races en Europe en affirmant la supériorité des Celtes et des Germains sur les Slaves et les Orientaux.

 

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(1) « Les monogénistes, chrétiens convaincus, ennemis de Darwin et de sa théorie de la sélection naturelle, main sur la Bible, estiment qu’Adam et Ève sont l’unique origine de l’homme. Alors, pourquoi et comment ces deux ancêtres originels et leurs deux enfants ont-ils eu des descendants de plusieurs couleurs ? Très simple, répliquent-ils. L’expulsion du paradis a conduit certaines hommes (les Noirs) à une dramatique dégénérescence, tandis que d’autres (les Blancs) n’ont subi que des dégâts sans gravité. Le péché originel aurait donc touché davantage les Noirs que les Blancs. » Mes Etoiles Noires, p. 142

(2) L’autre courant est celui des « polygénistes », libres-penseurs et «progressistes». Ce qu’ils défendent, ce sont les « vraies » valeurs républicaines. Pas question d’adhérer aux idées bibliques ni à celles, réactionnaires et aristocratiques, exposées par Gobineau dans les quatre volumes de son Essai sur l’inégalité des races humaines ; leur approche est moderniste, républicaine et démocratique. Ils se posent à l’avant-garde des recherches et des théories scientifiques, et ils osent défier la Bible en affirmant que les Blancs et les Noirs sont des races différentes.  Mes Etoiles Noires, p. 142

(3) Broca, 1866, 1989, 9
(4) Ibid. 4-6
(5) Cf. Chapitre 2, La République raciale, Carole Reynaud Paligot, Editions PUF, Octobre 2006
(6) Broca [1886], 1989, 5.
(7) Ibid, p.6
(8) Ibid p13.
(9) Ibid. p.10 – 41.