Changer nos imaginaires…

Chaque société possède un imaginaire qui lui est propre et qui constitue un contexte pour les images ou les représentations de chacun de ses membres.

Cet imaginaire institue le groupe social comme tel. Le groupe qui partage les mêmes idées est constitué grâce à cet imaginaire commun. L’imaginaire qui est le nôtre en France aujourd’hui est ainsi constitué de différents imaginaires qui nous ont été transmis à travers notre histoire et qui nous ont progressivement constitués comme français, « race blanche », ou comme société plurielle et multicolore, etc.. Cet imaginaire se transforme donc en même temps que notre histoire. C’est ce que Cornélius Castoriadis décrivait sous l’expression d’ « institution imaginaire de la société » (1) et dont il disait qu’il n’était pas « image de quelque chose » mais « création incessante et essentiellement indéterminée (social-historique et psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il peut être question de quelque chose. Ce que nous appelons « réalité » et « rationalité » en sont les œuvres. Chaque société fabrique son imaginaire, qui évolue.

Les idées que l’on a des races sont donc, comme les autres idées, à la fois individuelles et collectives, historiquement constituées et il est donc possible de les faire évoluer grâce à l’éducation.

Une autre approche contemporaine de l’influence de l’imaginaire sur les actes politiques d’un groupe social est la théorie du bio-pouvoir de Michel Foucault qui analyse comment se nouent les rapports entre le pouvoir et la vie. C’est ainsi qu’il explique le racisme : « Le racisme s’inscrit dans les mécanismes étatiques par l’émergence du bio-pouvoir, selon une double fonction.

D’une part, le racisme introduit des césures dans la vie prise en charge par le pouvoir, entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir; il opère une fragmentation du champ du biologique en faisant apparaître des races (inférieures ou supérieures), ce qui permet de « décaler à l’intérieur d’une population, les groupes les uns par rapport aux autres ».

D’autre part, il établit une relation positive qui n’est plus guerrière ou militaire, mais biologique, entre la vie des uns et la mort des autres. La mort de l’autre n’est pas seulement la sécurité d’une race, mais la mort de la mauvaise race, qui rendra la vie de la race plus saine et plus pure.

Les ennemis ne sont pas des adversaires politiques mais des dangers biologiques. Le racisme est ainsi entendu par Foucault comme « condition d’acceptabilité de la mise à mort dans une société de normalisation ». Il est le point par lequel le bio-pouvoir doit passer pour exercer un pouvoir de souveraineté, soit un droit de mort. Sur le cas spécifique du nazisme, Foucault établit une coïncidence exacte entre les deux procédés, la généralisation paroxystique du pouvoir de tuer et du bio-pouvoir : la société nazie, régulatrice et assurancielle, « déchaîne » dans le même temps son pouvoir de tuer, par l’exposition à la mort des citoyens. C’est cette exposition totale à la mort qui constitue la « race allemande » comme « race supérieure.» « L’État nazi a rendu absolument coextensifs le champ d’une vie qu’il aménage, protège, garantit, cultive biologiquement, et, en même temps, le droit souverain de tuer quiconque – non seulement les autres, mais les siens propres. ». Le génocide est ainsi explicité comme « rêve des pouvoirs modernes ». (2)

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(1) L’institution imaginaire de la société, Seuil, collec. Esprits, 1975.

(2) Katia Genel, Le biopouvoir chez Foucault et Agamben, in Revue Methodos, Penser le corps, n° avril 2004.